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Ahmadou Kourouma: métissage des langues et mélange des genres dans Allah n'est pas obligé
di Sophie Venant

Allah n'est pas obligé raconte l'histoire de Birahima, petit orphelin, qui ayant tout perdu, devient enfant-soldat dans les guerres tribales qui déchirent le Libéria et la Sierra Léone. Il se retrouve donc confronté aux pires horreurs de la guerre. « Mais Allah n’est pas obligé d’être juste avec toutes les choses qu’il a créées ici-bas »...

Ibrahima nous raconte l'enfer de son errance, à travers les différents groupes d'enfants-soldats auxquels il a appartenu. De son point de vue naïf, il nous montre comment la misère pousse les enfants à devenir soldats, manipulés par des chefs arrivistes et sans scrupule, au cœur des guerres tribales. Il se décrit comme « insolent, incorrect comme barbe d'un bouc et parle comme un salopard.

 » Il revendique ses origines :« les Malinkés  c'est ma race à moi »  ; « avant ça j'étais un bilakoro au village de Togobala(...) »

Kourouma

Le narrateur assume sa façon de parler : « je dis pas comme les nègres noirs africains indigènes bien cravatés : merde! Putain! Salaud! J'emploie les mots malinkés comme faforo! (« faforo!sexe de mon père ou sexe du père ou de ton père »). Il ponctue son récit de gros mots(« faforo! », « gnamokodé! »), exclamations (« Walahé! ») en malinké.

Dans le roman de Kourouma, on observe un contraste entre les gros mots, le langage familier et les mots soutenus, définitions du dictionnaire. Ce n'est pas par hasard que le jeune protagoniste emporte toujours avec lui quatre dictionnaires :  le Larousse et le Petit Robert; l’Inventaire des particularités lexicales du français d’Afrique, et le Harraps. La volonté de trouver le mot juste montre d'une part la volonté d'être compris du plus grand nombre : des « toubabs » (blancs, colons), des « noirs indigènes sauvages d'Afrique » et des « francophones de tout gabarit », et d'autre part une manière de mettre de l'ordre dans le chaos (Birahima parle plusieurs fois de « bordel au carré »). Les dictionnaires sont un rempart contre un monde incompréhensible. Birahima avoue « ne rien comprendre à ce foutu univers [...], ne rien piger à ce bordel de monde. Ne rien saisir à cette saloperie de société humaine ». Ils sont aussi les fétiches qui l'accompagnent dans la narration de son histoire : ils lui donnent le moyen de survivre par la parole, mais aussi de contourner le problème de l'indicible, de prendre du recul par rapport aux atrocités racontées. En donnant un cadre écrit à la parole, en nommant l'innommable par des termes précis, figés, le narrateur trouve le moyen de rationaliser les évènements auxquels il est confronté.  

Ce type d'écriture, mêlant français standard et français d'Afrique n'est pas spécifique à Ahmadou Kourouma. On note chez les écrivains ivoiriens une grande présence de l'oralité. En effet, encore aujourd'hui, les langues d'Afrique sont très peu enseignées et se transmettent oralement. C'est d'ailleurs tout l'enjeu pour Ahmadou Kourouma de traduire en français une culture et une vision du monde africaine. Sa grande maîtrise de la langue française lui permet de plier cet instrument aux structures du malinké avec virtuosité. Selon le critique littéraire Roger Dorsinville, c'est un « langage, qui sans heurter le français de France, rend la chaleur et la vibration à cette parole rythmée caractéristique du Malinké »1. Face à la difficulté  d'exprimer des réalités africaines en français, Kourouma choisit d'insérer des structures linguistiques ou stylistiques du malinké dans la langue française. « Il ne s'agit pas de traduire mais bien de saisir un sens, un rythme, une façon de percevoir et d'exprimer... et de rendre tout cela en français. »2

On a donc affaire à une véritable subversion de la langue française. Tout se passe donc comme si la langue française standard était un carcan qu'il fallait casser pour y mettre le rythme africain. La remise en cause de la norme linguistique contribue d'ailleurs à l'humour du texte et à la dédramatisation du récit. Car si la particularité de cette langue métissée déroute le lecteur, son rôle est aussi de soutenir la violence du récit. Dans cette perspective, le langage apparaît alors comme destructeur (des carcans, du formalisme), et salvateur. « Je n'ai pas décidé d'écrire (...) j'ai voulu écrire pour témoigner, il était impossible de le faire directement en écrivant un essai alors j'ai recouru à la fiction », confiait l'auteur au magazine Lire en septembre 2000.

Tout comme pour la langue, Kourouma se plaît à mélanger les genres. On pourrait qualifier son roman d'épopée burlesque: l'épopée est de tradition orale, tout comme le roman de Kourouma, et ce dernier nous narre des aventures « héroïques », mais sur un ton décalé, quand une situation dramatique est rendue grotesque. Mais c'est aussi un roman picaresque, dans lequel le narrateur, habile à se tirer des situations délicates, raconte avec détachement une suite d'aventures où le hasard joue son rôle. Enfin, c'est un roman initiatique, où le jeune héros, au départ est sans expérience, découvre peu à peu les évènements marquants de l'existence : la vie, la mort, etc. Birahima sort grandi des épreuves qu'il a dû surmonter. Il acquiert les dictionnaires et commence à raconter son histoire. La fin du récit nous ramène au début : c'est un cycle et la boucle est bouclée.

Enfin, Allah n'est pas obligé apparaît comme un roman historique (certains personnages, lieux et faits sont  réels) dans lequel Kourouma porte un regard critique sur l'Afrique moderne. Mais malgré l'aspect tragique des réalités décrites, l'auteur n'adopte pas un ton grave. Toute l'ironie du roman réside dans ce décalage qui participe à la dédramatisation de la violence. Dans ce roman, pas de pleurnicheries ni de bons sentiments. La drôlerie côtoie l'horreur : c'est une description féroce des dictatures africaines mais tournée en dérision. “C'est la guerre tribale qui veut ça”, est une phrase récurrente dans l'œuvre. Le personnage se résigne à la fatalité (il se prétend maudit), mais toujours avec humour.

Ahmadou Kourouma nous invite à une réflexion sur la langue française : il se l'approprie, la déforme dans sa forme et son contenu pour la “malinkaniser” et l'adapter à la réalité africaine.
En mélangeant les langues et les genres, il bouscule le lecteur. Parfois le narrateur interrompt le récit : «“voilà ce que j'vais à dire aujourd'”hui; j'en ai marre, je m'arrête aujourd'hui.” ;

Kourouma
Moi non plus je ne suis pas obligé de parler, de raconter ma chienne de vie, de fouiller dictionnaire sur dictionnaire. J'en ai marre; je m'arrête ici pour aujourd'hui. Qu'on aille se faire foutre!” ; “ Aujourd'hui, ce 25 septembre 199... j'en ai marre. Marre de raconter ma vie, marre de compiler les dictionnaires, marre de tout. Allez-vous faire foutre. Je me tais, je ne dis plus rien aujourd'hui....” ; “je ne suis pas obligé de tout dévoiler dans ce blablabla” ».

Mais Kourouma nous interroge aussi sur la capacité de chacun à penser le mal: avec quels mots raconter l'indicible?

Sophie Venant

 

1 Roger Dorsinville, colloque de Dakar, janvier 1983, sur « La tradition orale comme source de la littérature africaine contemporaine en Afrique », cité par le quotidien ivoirien Fraternité Matin du 22 février 1983.

2 Entretien avec Zalessky, diagonales n 7, 1988, p 5

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